Le FPU du Grand Ouest vers un urbanisme de solutions climat
Les constats sur les conséquences des dérèglements climatiques ont largement été posés. La responsabilité des acteurs de l’aménagement urbain dans l’atténuation et l’adaptation est aussi reconnue. L’heure est à la mise en oeuvre de solutions en faveur du climat, dans chaque projet, chaque initiative, chaque stratégie, à toutes les échelles. Pour tracer des pistes, le Forum des projets urbains du Grand Ouest, le 9 mars, recevait en séance plénière1 Laurent Rossez de l’agence AIA Life Designers, administrateur de Novabuild, l’urbaniste paysagiste Marion Talagrand et Benjamin Haguenauer, directeur régional du groupe Arc et président de la FPI des Pays de la Loire.
Marie-Christine Vatov : La volonté de mettre en oeuvre des solutions fonde l’action de Novabuild, que vous avez présidé de 2011 à 2021, Laurent Rossez, et dont vous êtes aujourd’hui administrateur. Novabuild était un pôle de compétitivité du BTP en Pays de la Loire et un centre de ressources de la construction durable. Il s’est mué en « accélérateur de transitions » puis en « allié Solutions Climat » du secteur de la construction, de l’aménagement et de l’immobilier. Laurent Rossez, vous proposez d’aller plus loin, dans une vision plus large… Laurent Rossez : Effectivement nous sommes en train d’écrire la feuille de route de Novabuild, en nous plaçant désormais en bâtisseurs de coopération pour le vivant. Nous étions au départ sur l’idée peut-être un peu naïve qu’on pouvait amener des solutions ; aujourd’hui nous sommes plutôt dans l’idée de la coopération car les problématiques sont tellement complexes et globales qu’on a un peu dépassé l’idée que l’on pourrait, en tant qu’entreprises, amener des solutions adoptables par tous. Il s’agit d’une coopération à tous niveaux, avec les collectivités territoriales, avec l’Etat, avec les entreprises d’autres secteurs, et avec les citoyens. La problématique inclut bien sûr la notion de dérive carbone à arrêter, mais aussi l’identification de trois « A » vertueux pour la ville : améliorer la santé (celle des humains et du vivant en général) ; atténuer les impacts, c’est-à-dire l’ensemble des pollutions atmosphériques, de l’eau et du sol mais aussi les impacts générés par la mobilité et les habitudes de consommation ; s’adapter sur le temps long, en se projetant à 2050 voire au-delà. Et on se rend compte que nos choix sont très questionnés, et notamment ceux d’implantation et d’aménagement. En termes de méthode, que proposons-nous ? Vous connaissez les quatre scénarios de l’Ademe2 pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : « génération frugale », « ;coopérations territoriales », « technologies vertes », » pari réparateur ». Et puis il y a l’OID, l’Observatoire de l’immobilier durable, qui a complété ces quatre scénarios d’une couche « résilience » avec les scénarios du Giec. Il révèle que si l’on se place dans la perspective de 4° de plus comme nous demande de le faire Christophe Béchu, 75 % du parc actuel n’est absolument pas résilient. A ce regard sur le temps long il manque une case : la géographie. On dit « quatre scénarios » mais on ne sait pas où. Il nous semble que l’on est arrivé à un moment où il faut une planification – ce n’est pas un gros mot – écologique, spatiale et temporelle pour l’aménagement. C’est le grand retour de l’Etat : ce ne sont pas les territoires eux-mêmes qui vont dire « mon territoire est dangereux à 2050 ». Or il y a des villes qu’il est absolument urgent d’arrêter de densifier parce qu’elles sont en risque extrêmement élevé du point de vue de la résilience. Une fois acquise cette connaissance, la stratégie sera de remettre la nature au centre de la ville. Si on y atteint 50 jours de canicule par an, cela entrainera des migrations. On connaît déjà la migration de l’Ile-de-France vers Nantes et Bordeaux, elle commence vers Angers et lorsqu’Angers deviendra trop dense les gens partiront à Lorient… Dans le même temps, sur la « diagonale du vide » on trouve des territoires déshérités, inattractifs, qui n’ont plus de services publics. Puisque améliorer la vie des gens suppose de leur proposer des logements abordables, cela pourrait être fait dans ces territoires où le foncier ne vaut rien. Or le foncier est hyper-spéculatif. Moins il y a de foncier dans une ville et plus les promoteurs sont prêts à le payer cher. C’est la course à l’échalotte. Nous proposons donc de réfléchir à une échelle globale, avec le retour d’équipements et de services dans ces territoires, de la qualité urbaine et paysagère : que l’Etat prenne les choses en main avec une vraie stratégie de planification et un encadrement des prix du foncier. Cela pour garder des villes vivables et promouvoir des villes en déshérence avec beaucoup de réhabilitation.
MCV : S’adapter au contexte des différents territoires et coopérer pour le vivant, ce sont des fondamentaux de votre pratique de paysagiste-urbaniste, Marion Talagrand. Vous présentiez tout à l’heure le projet de requalification du quartier du Bois du Château à Lorient. Sur ce projet ou sur d’autres, quelles évolutions voyez-vous se profiler dans le contexte de réponse aux enjeux climatiques ?
Marion Talagrand : L’approche de l’urbanisme par le paysage et par le vide trouve son actualité par rapport au sujet d’aujourd’hui parce qu’elle est essentielle pour répondre aux points principaux des dérèglements auxquels on fait face et qui rendent nos territoires de moins en moins vivables, avec évidemment l’importance de la maîtrise des émissions carbone. Les sols, le vivant sont des éléments clefs dans cette équation. Une érosion terrible de la biodiversité touche tous les territoires – campagnes et villes – ces territoires sur lesquels nous avons une action d’urbanistes et d’aménageurs sont des lieux aussi de restauration, ou en tout cas d’expérimentations sur ce sujet. Et puis il y a la question de l’adaptation, puisqu’on n’évitera pas un dérèglement qui mènera à des conditions bien différentes dans quelques décennies. Cette adaptation, ce n’est pas à l’échelle du petit habitat qu’il faut la traiter, mais bien à une échelle plus large, en prenant en compte la géographie et où l’action sur les « vides » est essentielle. Je vais aborder quatre points qui guident notre travail en tant que paysagistes et urbanistes et qui sont, je le pense, très largement partagés. Le premier, c’est que nous cherchons à considérer l’existant et à privilégier le travail de réhabilitation, qu’il est important d’appréhender à la fois matériellement et symboliquement. Non seulement le bâti, mais aussi tout le cadre matériel de notre vie quotidienne : les sols, les infrastructures, le végétal… Le projet de Lorient que nous avons montré est un projet très transformateur mais il est aussi fondé sur cet attachement à réemployer et à déplacer le curseur du réusage le plus loin possible. C’est aussi une question de regard sur cet héritage matériel qui nous est donné. Il n’est pas évident de considérer les qualités cachées que peut avoir un bâtiment ancien, ou de reconnaître les qualités cachées d’une friche, qui est issue d’un mouvement d’abandon et de déshérence.
Le deuxième point c’est de composer à partir du vivant, avec une inversion de l’ordre des priorités : d’abord les questions de fonctionnalités écologiques dans un second temps celle de nos déplacements, et dans un troisième temps celle des formes construites. Ainsi à Lille nous travaillons sur un projet, à partir d’un terrain de friches, composé en fonction des mobilités douces et puis de façon déductive les formes urbaines ; et cela produit des formes de fragments de ville assez inédites par rapport à la ville historique et traditionnelle que nous connaissons puisque c’est l’effet des continuités du vivant, des continuités hydrauliques, des continuités de sol qui fabriquent la continuité de la ville. Cela mobilise aussi des notions d’échelles puisque les questions d’écologie, d’hydraulique, mais aussi de fonctionnalités biologiques nous font revisiter les dimensions des espaces publics et des espaces paysagers.
Le troisième point, c’est que nous cherchons à réinterroger les filières de production du paysage et de l’espace public urbain. Ça me semble d’autant plus important, en parallèle avec le ZAN (Zéro artificialisation nette), parce que si on doit produire ce qui va être finalement des éléments de notre cadre de vie pour après-demain, cela bien sûr en limitant au maximum les importations de toutes sortes de matières, cela oblige à réorienter tout un ensemble de filières. Je pense plus particulièrement à la question des sols, et des sols fertiles puisqu’il y a des décennies nos villes ont été aménagées en ponctionnant sur des terres agricoles, donc alimentées par le processus d’extension urbaine. Nous le faisons sur quelques projets mais ce n’est pas encore généralisé : il y a un enjeu de généralisation des pratiques, le sol étant une des ressources les plus précieuses pour l’avenir face aux dérèglements qui s’annoncent. Un quatrième point : ce que nous cherchons à faire aussi c’est de mieux articuler aménagement et gestion. Dans des métiers qui marquent une rupture, l’aménagement est à un moment d’exception dans l’intervention sur les territoires ou sur la ville. Prendre soin, réparer, entretenir l’espace dans lequel on vit : ces métiers de gestionnaires ne sont pas toujours très valorisés par les professions de l’urbanisme ou de l’aménagement. Il faut arriver à pérenniser ces métiers et à mieux dialoguer avec eux dans le cadre de nos opérations. Modestement à notre échelle, sur certains de nos projets on essaie d’aller vers des réflexions sur la gestion à long terme. Par exemple à Saint-Chamas, sur le littoral de l’étang de Berre, on va développer un projet de requalification économique et sociale qui nous a conduits à avoir des actions de formation auprès des gestionnaires de la ville, ce qui est assez inhabituel : il y a une familiarisation réciproque à mettre en place pour considérer cette continuité du vivant et entrer dans une logique de temps qui est une logique cyclique.
MCV : Un des maillons forts du passage à l'acte, la promotion immobilière, est amené à s’inscrire dans la perspective d’atténuation/adaptation. Benjamin Haguenauer, comment se positionne la profession dans ce contexte d'évolution rapide ?
Benjamin Haguenauer : Tout au long de la journée on a vu l’innovation dont sont capables les promoteurs, les collectivités territoriales, les entreprises, bien sûr les maîtres d’oeuvre… Presque toutes les présentations ont été initiées par une slide présentant l’ensemble de l’équipe. Je voulais répondre à ce que disait Laurent Rossez à l’instant. On a vécu une période politique intense d’élections l’an dernier, et la FPI France a milité en faveur d’un grand ministère, non pas du logement, non pas du bâtiment, non pas de la construction, mais un ministère de l’aménagement du territoire. Les promoteurs que je représente aujourd’hui sont investis dans les transitions avec les nouvelles normes et la RE 2020 qui nous oblige et que nous accueillons à bras ouverts et avec volonté. Certaines opérations exemplaires anticipent déjà cette réglementation à 2025 ou 2028. Donc chaque nouveau bâtiment qui est construit aujourd’hui est moins énergivore et plus vertueux. Sauf qu’il faut faire avec l’existant et ne pas forcément penser démolir pour reconstruire. Il ne faut pas opposer le neuf et la réhabilitation, dans une démarche de réponse aux besoins de construction. Nous sommes des professionnels mais aussi des citoyens et dans notre quotidien nous prenons conscience de tout ce qui arrive. Il y a des indicateurs que l’on connaît tous. On transforme les friches, on utilise des matériaux biosourcés – vous l’avez dit, c’est nécessaire, pas suffisant – on réemploie, on essaie d’aller vers l’économie circulaire, de structurer des filières… mais il faut aussi se donner des volumes, une dimension minimale, à l’échelle d’un quartier, d’un territoire. Tous les acteurs sont impliqués, et les promoteurs immobiliers que je représente le sont de façon très importante. Cette réflexion ne doit pas se poser à 2050, à demain, mais à aujourd’hui. Il y a un besoin de loger mais l’image d’Epinal « une maison, un jardin, un barbecue, la balançoire pour les enfants » ne correspond plus du tout à ce qui est nécessaire pour la planète. Il va falloir qu’on se dise qu’il y a des limites à l’extension que vous avez évoquées… Le ZAN nous y invite, nous y oblige. On n’a pas cessé de parler d’intensité de la ville aujourd’hui. Est-ce qu’il faut imaginer de construire plus haut, avec une skyline, sur les bords de Loire ? Je me pose la question, je n’ai pas la réponse. Et puis ce qui est nécessaire dans ce métier, c’est de consolider le partenariat entre le public et le privé. La Fédération des promoteurs est force de proposition pour aller vers une construction plus vertueuse, plus efficace, mais aussi je souhaite rappeler l’urgence actuelle à produire du logement pour tous les ménages, quels que soient leur âge, leurs revenus, leur composition. Pour nous un nombre non négligeable de territoires ne répondent pas à ces objectifs. Et s’il faut imaginer les villes en 2050, n’oublions pas de loger tous nos concitoyens dès demain matin.
LR : Aujourd’hui dans le secteur de l’immobilier, pour arriver à avoir des programmes favorables au vivant, il faut une approche globale qui regarde l’ensemble des paramètres. Novabuild envisage de proposer un indicateur global : ramener chaque ville, chaque territoire à un indicateur eu égard aux émissions carbone/pollution atmosphérique par mètre carré livré et par taux de biodiversité dégradée qui est très liée avec le nombre de ressources consommées. On aurait ainsi une vision claire des villes qui ont compris la stratégie 2050, qui préparent leurs citoyens à vivre dans des villes vivables, et aussi une vision claire sur les villes qui n’ont pas compris, qui sont encore dans une course effrénée et qui a mon avis vont se tirer une balle dans le pied à terme. La course à la construction et à la densification sans regarder cela est une course mortifère.
MT : Par rapport à mon propos sur la fabrication des villes, de l’espace public, sur la renaturation, il y a des freins et éléments bloquants et on est peut-être un peu moins en avance pour l’application de ces sujets que dans le domaine du bâtiment et de la construction. Je pense que tout le monde n’a pas pris la mesure de la complexité, de ce que c’est que de recréer des écosystèmes : cela fait appel à des sciences dures, cela demande de mettre en place des savoir-faire. Cette complexité n’est pas suffisamment reconnue. Il faut qu’on puisse aller plus loin et sortir de quelques projets encore un peu militants pour passer à une phase où ça deviendrait une sorte de routine. Je reviendrai sur un sujet que vous abordiez : ce n’est pas tellement la planification qui m’intéresse mais j’ai toujours du goût pour les visions territoriales et je pense aussi qu’il est vraiment important de partager ces visions du devenir des territoires, et on sait à quel point les impacts et les dérèglements ne seront pas les mêmes partout. On a des climats très différents en France et donc il ne faut pas être dans la norme mais dans les spécificités. Rien de tel pour ça que de dessiner, avoir des cartographies sensibles, pour pouvoir embarquer largement, au-delà du monde professionnel. Il y a un terme que j’aime beaucoup – même s’il est effrayant - c’est le terme d’amnésie environnementale : l’homme contemporain, dans les villes, ne connaît et ne comprend plus rien au monde naturel et il y a donc cet enjeu de sensibilisation, d’éducation et aussi de responsabilisation beaucoup plus collective vis-à-vis du soin que l’on doit apporter à nos espaces de vie.
BH : Un constat : il nous faut absolument consolider les partenariats entre le public et le privé. Un objectif : le temps est un ennemi ; il faut passer des intentions, nombreuses aujourd’hui, volontaires, bienveillantes, au concret et à l’opérationnel. Un voeu : que l’ensemble des innovations, nombreuses mais encore trop ponctuelles dans les opérations deviennent des standards.