En introduction et en conclusion des débats du Grand Prix de l’urbanisme 2024, le 18 décembre à la Cité internationale universitaire de Paris, Claire Schorter a décrit sa démarche et pris position. Extraits.

« […] Pendant 15 années j’ai enchaîné les projets tout en me questionnant face à la nécessité d’une bifurcation écologique qui devenait pressante au tournant des années 2010. Je trouvais que cette bifurcation avait du mal à prendre corps dans les métiers de l’urbanisme et de l’aménagement. On construisait toujours plus gros, plus épais, il était plus facile de démolir que de réhabiliter, on « tartinait la pampa » sans se poser de questions… C’est dans ce contexte que je me suis inscrite au post-master Architecture et philosophie dirigé par Chris Younès. J’ai trouvé auprès d’elle un écho à mes questions sur la pratique de la fabrique de la ville, sur la responsabilité déontologique et politique de l’acte de construire. En mettant l’architecte en responsabilité face à la Terre, avec l’importance de ménager les milieux de vie avec soin et attention aux vulnérables face à la puissante maîtrise technique du métier et face aux enjeux financiers. L’architecte urbaniste paysagiste est un acteur privé au service d’un récit commun et collectif pour un monde inclusif, hospitalier, qui prend soin du vivant, qui rend heureux et en bonne santé, qui offre des milieux de vie équilibrés et qui porte attention à la vie quotidienne… c’est ainsi que j’ai résolu ma crise de sens.

« Une autre personnalité a changé ma vie d’urbaniste : David Sim, architecte et urbaniste écossais, étudiant puis associé du Danois Jan Gehl et l’un des héritiers de la tradition People-oriented architecture and city planning. A ses côtés, j’ai appris à rendre tangibles les questions de l’usage dans la conception urbaine. […] 

« C’est en 2013 que j’ai créé mon agence Laq (L’Amour des quartiers) avec l’envie de pratiquer l’urbanisme avec douceur, dans le respect du vivant, des grandes et des petites histoires des territoires par et pour l’usage, pour participer à la fabrique de quartiers où il fait bon vivre et où on a nous-mêmes envie d’habiter. […]

« Je voudrais féliciter les jeunes urbanistes du Palmarès ( Ndlr : lauréats du Palmarès des jeunes urbanistes : l’Atelier de l’Ours, Bellevilles, Meat, Le Vent se lève !, Nommos, Tout Terrain, UR]. Ils sont le signe du changement, des urbanismes du développement soutenable qui rencontrent les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire les leurs, l’urbanisme de la solidarité intergénérationnelle.

« Aujourd’hui on ne sait pas aménager sans création de valeur, disait un aménageur. Mais l’équation économique au mieux équilibrée d’une opération d’aménagement ne permettra jamais l’équilibre de son équation carbone ni le financement de la réparation d’écosystèmes -sauf peut-être dans les secteurs à hauts risques naturels-. Or il ne s’agit plus aujourd’hui d’engager une transition mais de changer de trajectoire, et c’est maintenant ! Adapter nos établissements humains à un climat qui change, réduire notre empreinte carbone… on a déjà tout dit, on a déjà tout écrit, on a déjà tout énoncé. Maintenant il faut que l’on agisse concrètement, en considérant la ville existante comme un gisement de ressources avec lesquelles composer, mais aussi comme le milieu humain par excellence où se joue l’acceptation de la différence par la spatialisation de l’« avec », par la mitoyenneté, par la contiguïté, sans repli social, identitaire ni communautaire. C’est ça la ville !

« Prendre la réparation des systèmes urbains à bras-le-corps c’est à l’échelle nationale réorienter les postes de dépenses primaires et les profits du capital -je ne comprends pas pourquoi, encore, on n’arrive pas à taxer les profits énormes en faveur de la réparation des écosystèmes- au bénéfice de la santé humaine et des modes de vie solidaires et soutenables. Et légiférer urgemment contre l’obsolescence programmée de tout ce qui nous entoure. A cette condition seulement, la circularité du métabolisme urbain pourra se faire. 

« Sur le terrain des urbanistes, c’est contourner ou détourner la puissante ingénierie de l’urbanisation en la réorientant au profit du « ménagement », grâce au projet et à toutes les échelles. Cela nécessite de relever les contradictions d’un programme ou d’une décision vis-à-vis des politiques environnementales, de reformuler la question le cas échéant, d’inventer, d’expérimenter des dispositifs low-tech pour des modes de vie urbains frugaux. Et pas seulement avec des acteurs déjà convaincus. C’est donc résister aux habitudes de l’urbanisme productiviste -et l’inertie est grande. Ce serait une manière de réconcilier l’urbanisme et l’habitant, de considérer des projets à impact positif plutôt que la mesure de leurs impacts négatifs et leur « évitement – réduction – compensation ». Des projets réparateurs, qui réincorporent la politique de l’intérêt général au cœur des territoires.

« L’urbanisme n’est plus l’art de l’urbanisation. L’urbanisme c’est l’attention, l’art de relier des établissements humains avec leur environnement naturel. Urbaniste, ça n’est pas seulement un métier, c’est un engagement ».