« L'agriculture, clé du projet écologique des territoires » était le thème du « 5 à 7 » du Club Ville Aménagement, le 4 décembre à Paris, un débat conçu et animé par Ariella Masboungi, Grand Prix de l'urbanisme 2016. Après un panorama tracé par le philosophe Sébastien Marot sur les principes de l’agriculture en lien avec l’architecture à travers l’histoire et dans la perspective des transitions, Pierre Janin (agence Fabriques) – « architecte, paysagiste, fils d’agriculteur » – a témoigné de l’avancée de ses pratiques. « Un des fondamentaux de notre travail, c’est d’arriver à dépasser la vision super-fonctionnaliste que l’on a de l’aménagement des territoires, fondée sur le zonage [des PLU] et sans complémentarités » décrit-il, dans l’objectif d’« arriver à recomposer des écosystèmes agricoles, urbains et naturels, sans se focaliser sur le milieu urbain et en laissant de la place à l’émergence de pratiques marginales qui contribuent à faire considérer les valeurs d’usages des sols ».
L’agence Fabriques de Rémi et Pierre Janin produit donc des projets agro-urbains, « souvent sur des territoires de marges, des délaissés, des espaces vécus comme étant des « arrières », les terrains dont personne ne veut : c’est là que se joue l’invention de nouveaux modèles ». Cela afin de « revivifier des sols pour leur potentiel agronomique mais aussi pour leurs qualités spatiales, de lier à des dynamiques urbaines, agricoles et environnementales, et de mixer les usages », tout en enclenchant aussi un rapport à l’animal « qui soit beaucoup plus fort et affectif ».
Un espace agricole ne doit pas à ses yeux n’être considéré que comme une réserve foncière mais possiblement comme « le cœur d’un quartier qui le structure ». Cela suppose un intense processus de négociation, de conjonction entre acteurs, jusqu’à « amener l’aménageur à comprendre quelle place et quel intérêt il peut trouver à intervenir au sein d’une opération où le volet agricole est fondamental, premier et vient composer l’ensemble du site ».
Thierry Febvay, directeur exécutif de la Semmaris (gestionnaire du MIN de Rungis), convient qu’il faut « trouver des solutions ensemble pour réutiliser des espaces existants, en finir avec les zonages monofonctionnels », mais que « le défi est difficile pour nous aménageurs parce que nous sommes des héritiers de la Charte d’Athènes, du code de l’urbanisme, des périmètres de lotissements, des bilans de Zac, des choses très périmétrées, très segmentées. C’est donc clairement une nouvelle façon de penser la fabrique de la ville ». Il cite pour exemple le projet d’Agoralim, nouveau marché de gros dans le Val-d’Oise. « Ce n’est pas simplement un ensemble d’entrepôts logistiques mais un projet systémique, pensé avec les acteurs du monde agricole. Il mobilise la capacité de certains agriculteurs volontaires à diversifier leur production en quittant le tout-céréales, et le projet comprend une composante transformation de produits alimentaires ainsi que des infrastructures de commercialisation et d’acheminement ». Le corollaire de ces évolutions est de ne plus se limiter à « un imaginaire urbain », et de s’outiller en fonction : « Aujourd’hui on doit aller chercher l’agronome pour développer des solutions porteuses d’une vraie capacité transformative ».
Pour Pierre Janin, les évolutions vont dans le bon sens : « quand nous avons démarré en 2007, nous étions considérés comme des hurluberlus. Des distinctions comme le Palmarès des jeunes urbanistes nous ont confortés. Cela fait 4 ou 5 ans que l’on constate une bascule, notamment sur la notion de fermes métropolitaines. Et cela tant de la part des acteurs publics que de certains acteurs privés. De plus, on arrive à trouver de l’intérêt à cette relation agri-urbaine aussi bien dans l’espace urbain que dans l’espace rural. Les agriculteurs prennent eux-mêmes conscience de leur rôle dans l’aménagement du territoire. »
MCV
Photo : Agriparc des Bouisses, à Montpellier. © Fabriques Architectures Paysages