Du 9 au 11 octobre, les agences d’urbanisme se sont réunies à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais à l’occasion de la 45ème rencontre nationale de la Fnau organisée sous le thème « Espace(s) public(s) en débat(s) ». 

Et si les espaces publics étaient les grands oubliés de la transition écologique ? « Depuis une vingtaine d’années, les enjeux ont essentiellement porté sur les pleins de la ville c’est-à-dire les bâtiments, et le vide est devenu l’impensé » constatait Franck Boutté, Grand Prix de l’urbanisme 2022, en plénière d’ouverture de la 45ème rencontre de la Fnau à Saint-Omer (Pas-de-Calais), soutenant l’idée selon laquelle les espaces publics seraient « sortis des radars ». En cause : une approche « quantitative, rationaliste et causale » de l’aménagement et de la construction, prenant comme objets d’étude l’énergie et le carbone, et laissant de côté ce qui n’est pas calculatoire à l’image de ce « vide » dont parle l’ingénieur des ponts et chaussées. Pire, « nous avons tendance à grappiller ces espaces pour les remplir » déplorait la paysagiste Anne-Cécile Jacquot, lauréate du Grand Prix du paysage 2024, convaincue que « nous sommes en train de perdre cette qualité de l’espace ouvert ». Sans compter l’omniprésence des voitures qui règnent sans partage sur les espaces publics aménagés en leur faveur.

S’engage un travail de reconquête et de sanctuarisation de ces espaces. À Tours, la place  du Grand Marché, connue sous le nom de place du Monstre en référence à la sculpture qui y est installée, s’est métamorphosée. Et pour cause, les voitures ont disparu, les terrasses des cafés ne s’étendent plus sur la place et des bancs ont été posés dans l’espace central. Cathy Savourey explique comment l’agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours dont elle est présidente a ménagé cette place « en créant de l’espace non-marchand » pour que « les habitants qui n’ont pas les moyens de consommer sur une terrasse puissent également s’asseoir » et profiter du lieu. Cette évolution dans la façon de regarder l’espace public, le paysagiste Michel Desvigne l’a constatée, notamment à Bordeaux où son agence a participé à l’élaboration d’une charte des paysages en 2004 visant à entretenir et compléter les plantations existantes. « Il y a 20 ans, ça a été compliqué de faire admettre à tous l’idée qu’on faisait un espace public le long d’un fleuve au centre d’une grande-ville française » raconte Michel Desvigne ; « on nous accusait de contribuer à l’étalement urbain puisqu’on allait empêcher de la construction en centre-ville ». « Aujourd’hui, on mesure le chemin parcouru » observe-t-il, mais « on continue à devoir faire un énorme travail de conviction des politiques et des urbanistes ». Car, s’il va falloir défendre ces espaces et « laisser un peu d’air » aux villes, c’est en vertu du principe de densification consacré par la loi Zéro artificialisation nette (Zan) sur laquelle le gouvernement Barnier souhaite revenir. Un sujet sensible, évoqué par la ministre du Logement et de la Rénovation urbaine Valérie Létard qui avait fait le déplacement : « il est absolument impossible aujourd’hui de réussir ce pari si on n’a pas, pour accompagner nos élus, des outils tels que les agences d’urbanisme ». À l’origine de ce revirement, un déficit d’ingénierie dans « des pans entiers de notre territoire » qui ne permet pas, selon la ministre, « de tenir les objectifs ».

Enfin, une question reste en suspens, à savoir celle du financement des espaces publics. « Il y aura moins de voitures, plus de pistes cyclables et plus de végétation, autrement dit uniquement des éléments qui vont augmenter le coût de fonctionnement de l’espace public et diminuer la recette » remarque le directeur général de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) Alexandre Labasse, qui travaille actuellement sur « une maquette économique de l’espace public ». « Nous avons identifié trois leviers » précise-t-il, le premier étant l’augmentation des recettes en majorant les tarifs de stationnement automobile, la taxe de séjour et les droits de terrasse ; le second, la réduction des dépenses en limitant la vitesse de circulation en ville pour économiser du mobilier urbain ou en s’appuyant sur la technologie pour optimiser l’éclairage public ; le dernier consiste à « comptabiliser soit ce qu’on ne dépense pas grâce à la transformation de l’espace public, soit les externalités positives de l’espace public ». « On pourrait monétiser la baisse de l’accidentologie » propose Alexandre Labasse, attirant l’attention sur les coûts évités à la société par la diminution du nombre de voitures. Et de conclure : « il n’y aura pas de transformation d’espaces publics plus généreuse, ouverte, paisible et douce s’il n’y a pas un modèle économique derrière ».

Espaces publics, espaces démocratiques ? 

Autre sujet abordé lors de la rencontre : les « inaudibles », ces personnes qui selon le chercheur Nicolas Rio « ne se sentent pas écoutées » par les institutions et ne participent pas aux réunions publiques. L’auteur du livre Pour en finir avec la démocratie participative co-écrit avec Manon Loisel s’interroge sur ces « espaces participatifs » qui « ne donnent la parole qu’à celles et ceux qui la prenaient déjà » c’est-à-dire des « gens très insérés dans la vie démocratique avec des profils sociologiques homogènes en termes d’âge, de niveaux de diplôme et de revenu ». Avec pour conséquence « d’accentuer les inégalités politiques en donnant encore plus de place à celles et ceux qui étaient déjà présents, comme si on leur distribuait plusieurs bulletins de vote, et d’invisibiliser davantage celles et ceux qui étaient en retrait » analyse le consultant en coopérations territoriales. La question est de savoir « comment on arrive à faire entendre les inaudibles » et in fine « à rendre les espaces publics plus redistributifs pour tendre vers cette promesse d’égalité ».

Selon Nicolas Rio, la réponse se trouve dans la démocratie représentative et non dans la démocratie participative - d’où le titre du livre -, la première étant « la seule en capacité de se préoccuper des absents ». « Nous avons tendance dans l’action publique à réduire la fonction de l’élu à celle de pilote. Or, pour nous l’élu a une fonction de représentant de ses concitoyens » soutient-il, ajoutant que le rôle des agences d’urbanisme est d’« inviter les institutions à se décentrer de leur point de vue pour adopter celui des autres ». Des propos qui n’ont pas manqué de faire réagir les élus présents autour de la table. Parmi eux, Catherine Barthelet, présidente de l’Agence d’urbanisme Besançon centre Franche-Comté (Audab) devenue maire de Pelousey (Doubs) « du jour au lendemain », expliquant que « les formations proposées par les organismes d’élus portent sur les éléments techniques du métier » et que « plus on est dans une petite commune, moins on a la matière grise » pour traiter ces sujets. « Nous avons besoin de formation et d’accompagnement pour nous aider à mieux concerter » confie-t-elle, partageant cette idée que les élus « ont souvent ce biais de s’adresser à des gens qui sont déjà experts » ; « il faut qu’on fasse encore des efforts là-dessus ».

TLF