Dans un rapport publié ce 21 octobre, la Cour des comptes pointe les nombreuses lacunes du plan Marseille en grand. Des carences qui laissent planer de grosses incertitudes sur le devenir de ce plan Marshall dépourvu de contractualisation. 

Trois ans après son lancement par Emmanuel Macron, le plan Marseille en grand reste... en plan selon la Cour des comptes. Dans un rapport critique publié ce 21 octobre, la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur et les six chambres thématiques de la Cour des comptes estiment que le contenu, les méthodes de mise en œuvre et les objectifs de ce plan Marshall censé remédier aux maux endémiques de la deuxième ville du pays « sont insuffisamment formalisés et partagés par les différents acteurs ». La juridiction financière dénonce un suivi « indigent » du plan Marseille en grand, et regrette des « insuffisances organisationnelles » qui « pèsent sur sa mise en œuvre ».

Calendrier trop flou

Dépourvu de calendrier précis et de programmation permettant une évaluation régulière, le plan a pour unique feuille de route le discours de lancement d’Emmanuel Macron le 2 septembre 2021 à Marseille. 

Résultat : faute d’être explicités, les objectifs du plan « font l’objet d’interprétations diverses voire concurrentes de la part des acteurs, qui ne s’entendent pas sur la gouvernance adéquate ». 

Les tentatives de contractualisation, portées par l’État, se sont heurtées à la réticence des collectivités territoriales. « Les palliatifs mis en œuvre, comme l’adoption de protocoles sectoriels, sont insuffisants et ne peuvent se substituer à un cadre contractuel engageant l’ensemble des parties prenantes », observe le rapport. 

Faible consommation des crédits

Malgré quelques corrections apportées par l’Etat, « l’organisation retenue apparaît lacunaire et n’apporte pas de garantie quant à la mise en œuvre effective et rapide des actions du plan », cinglent les magistrats. A cette aune, un chiffre suffit à dire l’ampleur du décalage entre l’ambition et la réalité : fin 2023, les sommes réellement décaissées par l’Etat se limitaient à 1,31 % des quelque 5 milliards d’euros annoncés, soit 72 petits millions d’euros. Pire, « les montants annoncés apparaissent surévalués », « une part significative des financements » correspondant à des crédits préexistants, des garanties d’emprunt ou des prêts. 

Selon les magistrats, les cofinancements nouveaux atteignent en réalité seulement 1,55 milliard d’euros, soit 28% du montant global de l’enveloppe annoncée par l’Etat. Si le plan répond effectivement à des besoins importants du territoire, sa structuration reste lacunaire. En matière d’éducation, « il se concentre sur l’expérimentation de nouvelles modalités d’organisation pédagogique et l’amélioration du parc d’écoles publiques via des opérations de construction, reconstruction ou réhabilitation, mais n’intègre aucune mesure spécifique visant à répondre aux causes de l’échec scolaire ». 

Même carence pour les mesures relatives au logement : « celles-ci ne portent que sur la résorption des logements dégradés, au détriment de la lutte contre la ségrégation résidentielle ou la production de logements sociaux », pointe le rapport. 

Des projets de transports pas suffisamment métropolitains

Pour les transports publics, le plan fait partiellement fausse route. Certains des quinze projets inscrits à la programmation, tel le Valtram, le projet de tramway entre Aubagne et la Bouilladisse, « ne répondent pas aux priorités définies » par l’Etat notamment en matière de désenclavement des quartiers nord de Marseille. Plus largement, « le plan ne propose pas de traitement global des difficultés de mobilité urbaine et demeure centré sur le cofinancement par l’État de projets de transports en commun préexistants, sans réorientation de la stratégie métropolitaine », tacle la CRC.

Enfin, les magistrats financiers regrettent que l’Etat ait décidé de mettre le plan en orbite alors que la réforme de la gouvernance métropolitaine est encore en jachère. Or, cette réforme des relations financières entre la métropole Aix-Marseille-Provence et ses 92 communes membres était justement « une condition préalable » à la mise en œuvre de Marseille en grand. La CRC rappelle que le montant des attributions de compensation « versées par la métropole aux communes sur des bases irrégulières atteint 178,47 millions d’euros par an ». 

Un volet logement soumis au droit commun

Malgré l’urgence de la situation marseillaise et la volonté d’obtenir des résultats rapides, le déploiement du plan se heurte à l’absence de procédure dérogatoire, demeurant cantonné au cadre rigide du droit commun. Conséquence : « les principaux financements demeurent soumis aux règles d’engagement usuelles avec les délais d’instruction que cela induit ». 

Cette distorsion est particulièrement sensible sur le volet logement. Les financements dépendent des décisions du comité d’engagement de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et sont soumis aux règles de caducité de droit commun. « Leur octroi au bénéfice du territoire n’est donc pas garanti », remarquent les magistrats. Face au millefeuille des compétences, « la mise en œuvre de certaines mesures en matière d’habitat se heurte à la pluralité des acteurs en situation de décision ». A cette aune, la réflexion récente sur l’opportunité d’une opération d’intérêt national « apparaît pertinente bien que tardive », relève le rapport.

4 recommandations

« Par son absence d’instance de gouvernance d’ensemble, et plus globalement d’espaces d’échanges, le plan Marseille en grand, qui pourrait servir de support à un dialogue des acteurs du territoire, ne favorise pas l’émergence de telles synergies », note le rapport qui s’achève par quatre recommandations : la mise en place d’un cadre contractuel, d’un dispositif séquentiel d’évaluation, d’une gouvernance générale associant tous les acteurs et le rendu régulier de rapports d’étape publics rendant compte de l’avancement des projets.

Alors que le gouvernement Barnier annonce des coupes sombres dans le financement des collectivités locales, la question du devenir du plan Marseille en grand se pose. D’autant que le dispositif a perdu sa pilote en haut lieu, avec l’éviction de Sabrina Agresti-Roubache, la secrétaire d’Etat chargée de la ville du gouvernement Attal qui avait pour prérogative le suivi du plan dans la capitale. Cette proche du couple Macron n’a pas de successeur es qualité dans l’équipe de Michel Barnier... Un oubli (?) qui vient rappeler la fragilité de l’édifice politique de ce plan qui risque de le rester...   

W. A.